Il n’est pas aussi décisif que Cristiano Ronaldo, aussi virtuose que Lionel Messi ou autant spectaculaire que Neymar. Il possède pourtant lui aussi ce petit supplément d’âme, caractéristique des joueurs que l’on remarque rapidement. À 32 ans, Edin Dzeko retrouve ses années de jeunesse à Wolfsburg, où, à l’époque, il était l’une des meilleures gâchettes d’Europe avec Grafite. Double buteur en phase de groupes contre Chelsea, puis buteur face au Shakhtar Donestk en huitième de finale avant d’être de nouveau double buteur contre le FC Barcelone en quart de finale, Edin Dzeko a marqué de son empreinte cette aventure européenne 2017-2018. S’il a toujours été reconnu comme l’un des meilleurs buteurs en Europe depuis maintenant dix ans, il a su démontrer d’autres qualités, notamment dans le leadership.
Au Camp Nou, il a marqué le but de l’espoir dans une situation inextricable, dans une défense qui a tenté de la contenir. Au retour, c’est lui qui a lancé la Romantada dès la 5e minute. Avec un tel état d’esprit, il est difficile alors de ne pas marcher dans ses pas quand on est un joueur de la Roma. Qualifié de joueur de "classe mondiale" avant son arrivée dans la capitale italienne par Francesco Totti, l’adoubement réalisé par le plus populaire des membres du club de la Louve n’a pourtant pas aidé l’attaquant bosnien à rapidement s’imposer. Avant de devenir le meilleur buteur de Serie A et un élément essentiel du dispositif d’Eusebio Di Francesco dans cette campagne européenne, Dzeko est passé par une phase de défiance où il a bien cru que son aventure italienne allait tourner court.
"Moi coach, je ne doute pas"
Sélectionneur de la Bosnie-Herzégovine pendant trois ans, de 2014 à 2017, Mecha Bazdarevic se souvient pour 'Goal' d’une relation très particulière avec l’attaquant romain. Né à Sarajevo comme lui, passé par le même club, le FK Željezničar, l’entraîneur connaît Dzeko depuis son adolescence. "Je le connais depuis 16 ans et demi. Je voulais le ramener à Sochaux mais au niveau des lois et pour obtenir des papiers c’était interdit pour son âge. Nous sommes issus d’une même famille footballistique." S’il suivait attentivement sa carrière, le destin lui a réservé un beau clin d’œil en les réunissant à nouveau en équipe nationale, après la Coupe du monde 2014.
Le tournant se produit lors de la saison 2015-2016. Prêté par Manchester City à la Roma, Edin Dzeko qui avait tout de la bonne pioche, patine en Italie. Seulement huit buts en Serie A mais surtout une cascade de ratés qui nuit à sa réputation. Jeune trentenaire, le Bosnien est en proie alors au déclin. "Il faisait de très bonnes choses, soutient Mecha Bazdarevic, mais sa première saison était moyenne. Il le savait, c’était une galère pour lui entre les blessures, l’adaptation dans un nouveau pays et le fait d’être massacré dans la presse italienne, C’est un garçon qui faisait abstraction de tout ça, on se parlait au téléphone et il me disait 'moi coach je ne doute pas.' Cette période trouble s’avèrera finalement être un mal pour un bien, si l’on observe désormais le statut acquis par Dzeko.
Petit à petit, la mayonnaise prend entre lui et les Giallorossi, au-delà de ses réalisations la saison dernière. Déterminé, appliqué et concentré, l’ancien buteur de Wolfsburg a su se faire une place dans ce club si particulier en Italie, où l’on peut rapidement déchanter si on enchaîne quelques prestations d’une qualité plus fade. Pour Bazdarevic, Dzeko a su puiser dans ces premiers pas délicats une nouvelle force mentale. "En sélection il est revenu touché de ses premiers mois à Rome, il s’est juré de travailler dur pour prouver qu’il n’est pas un usurpateur. C’est un garçon attachant et il a fini par trouver cette famille à Rome, avec ce public qui désormais l’apprécie à sa juste valeur. Il veut laisser un très bon souvenir dans ce club." Avec ses exploits à Stamford Bridge, au Camp Nou et bien entendu à l’Olimpico, c’est bien parti.
L’école de Sarajevo comme base technique
S’il doit être avant tout le finisseur de cette équipe romaine, Dzeko montre bien d’autres aptitudes dans le jeu que tout entraîneur aime observer. Le sens du collectif, la détermination sans faille et bien évidemment, le jeu en remise, lui qui bénéficie d’un gabarit utile, avec de solides aptitudes physiques. Néanmoins, là où il détonne encore, c’est bien techniquement où il sait être fin et délicat malgré son image longiligne. Une nouvelle fois, c’est à Sarajevo que tout a commencé, au cœur de la guerre de Yougoslavie. Le jeune Edin s’entraînait dans des conditions qui paraissaient surréalistes. À l’époque, Predrag Pasic était éducateur au cœur de la capitale de la Bosnie et qui était déjà une cible du conflit et de l’armée serbe. Ce technicien n’a jamais douté du fait qu’il était essentiel de voir les enfants bosniens, Dzeko compris, continuer à jouer au football. "Evidemment que c’était dangereux d’aller à l’entraînement. C’était la guerre partout, il y avait des snipers autour de nous, des bombes. Mais vous savez, les enfants avaient une telle envie de vivre qu’il ne manquait jamais personne à l’appel."
Justement, dans ce contexte si particulier, les entraîneurs font tout leur possible pour transmettre aux jeunes une certaine idée du football, une philosophie qui consiste à répéter jusqu’à l’épuisement les exercices afin d’assimiler les concepts et les manières d’appréhender le ballon. Passé par là, Mecha Bazdarevic témoigne de l’école de Sarajevo. "Susic, Hadzibegic, Dzeko … Ils viennent de la même formation, la bosniaque, on apprend les gammes en étant presque des robots sur le contrôle-passe, intérieur-extérieur. C’était un puissant vivier. À 18 ans, on sait déjà si le jeune sera un grand joueur ou non."
Un leader naturel
Qualifié de personnalité respectueuse et disciplinée par ses pairs, Edin Dzeko est plutôt réservé au premier abord. Les interviews sont rares tout comme les frasques que l’on peut observer chez Radja Nainggolan, son coéquipier. "Ce n’est pas quelqu’un qui s’exprime beaucoup, analyse Bazdarevic. C’est par son comportement et sa manière de jouer qu’il dégage une sérénité, une énergie très positive. Il pète rarement des câbles, à part une fois contre la Grèce, c’est toujours surprenant de le voir sortir de ses gonds… Une fois en barrage de l’Euro 2016 contre l’Irlande, avec une telle pression extérieure, il a parlé à tout le monde en disant 'pourquoi vous êtes excités ? du calme.' il voulait apporter cette quiétude à l’ensemble du groupe." Le genre de situation que la Roma pourrait retrouver ce mardi soir à Anfield, dans l’une des enceintes les plus mythiques d'Europe. Un rendez-vous que Dzeko sait donc mieux appréhender que quiconque. Un atout supplémentaire au crédit de l'attaquant bosnien, et surtout de son équipe.