Plus ou moins importantes et spontanées, ces cérémonies d'accueil se sont imposées comme l'une des images fortes du mercato. Un plongeon dans le grand bain en Turquie, pays où le football se vit intensément.
La scène s'est répétée l'été dernier. Bafétimbi Gomis (Galatasaray) et Mathieu Valbuena (Fenerbahçe) ont été reçus dès le hall des arrivées de l'aéroport Atatürk d'Istanbul par des centaines de supporters en transe.
"A l'étranger, les gens doivent se dire "C'est quoi ce pays de dingues ?", rit Ayhan Güner, l'un des chefs de file de 'Carsi', principal groupe ultra de Besiktas. "C'est simple, pour nous, le football, c'est sacré. On va au stade comme d'autres vont au pèlerinage".
"Je ne peux pas l'expliquer", lâche l'ex-attaquant Pascal Nouma, qui a eu droit à deux bains de foule aéroportuaires, en 2000 et en 2002.
Plus qu'une réception turbulente, ces rassemblements sont à la fois un baptême et une mise en garde. "On accueille le joueur à la descente de l'avion pour lui dire "Tu n'es pas un étranger, tu es de la famille", indique Atakan Bodan, un responsable des 'ultrAslan', principal groupe ultra de Galatasaray.
"Le message, c'est "Voici à quoi ressemble la terre où tu poses le pied. Voilà la famille que tu rejoins", ajoute Güner.
"C'est une source de grande motivation, mais aussi de prise de conscience de ses responsabilités pour le joueur", résume Candas Tolga Isik, membre du directoire de Besiktas, chargé de la communication.
'Démonstration de force'
Face à un public exigeant, la recrue doit jouer le jeu. Après avoir atterri, l'été dernier, Pepe a régalé les supporters de Besiktas en mimant les serres d'un aigle, animal totem du club.
"Tu sais à quoi t'attendre", dit à l''AFP' Sofiane Feghouli, accueilli par une marée rouge et or en août dernier lors de son transfert à Galatasaray. "J'avais vu les images d'autres joueurs, mais je ne m'attendais pas à voir autant de fans".
De mémoire de journaliste sportif turc, la première cérémonie dans un aéroport fut à l'occasion d'un adieu, celui de Metin Oktay, légende de Galatasaray, transféré à Palermo en 1961. Des dizaines de fans l'avaient escorté jusqu'au pied de l'avion.
L'accueil à l'aéroport apparaît dans les années 80 avec l'arrivée de noms ayant brillé en Europe. Mais il faut attendre le début des années 2000 pour que le rituel s'installe.
"Avec l'arrivée de joueurs connus, ça a commencé à devenir systématique, et une compétition entre clubs s'est mise en place. Ils se disent "les autres étaient 1 000, il faut qu'on soit au moins 3 000", explique Atahan Altinordu, journaliste au magazine 'Socrates', mensuel de sports.
"C'est une démonstration de force entre les grandes équipes", confirme Güner, de 'Carsi'. "On veut marquer des points contre nos rivaux en mettant l'aéroport sens dessus dessous, avec des chants, des fumigènes".
'Une fois dans sa vie'
Ce chaos est le fruit d'une organisation quasi-militaire. Après avoir été informés par le club de l'heure d'arrivée, les groupes de supporters convoquent le ban et l'arrière-ban.
"Avant, il fallait appeler les gens un par un. Aujourd'hui, avec Twitter et les groupes de conversation sur WhatsApp, tu peux toucher 3 000 personnes d'un coup", souligne Bodan, des 'ultrAslan'.
La plupart des fans se rendent à l'aéroport en métro, d'autres viennent en voiture. Et parfois, le club agit pour un joueur moins connu. "Un responsable du club appelle un groupe de supporters et dit "Si vous alliez accueillir notre garçon, qu'on le fasse briller un peu ?", explique Altinordu. Dans ce cas, le club s'occupe de la logistique, comme la location d'autocars.
Et ce n'est plus l'apanage des grandes équipes stambouliotes. Fin janvier, le modeste aéroport Nuri Demirag, à Sivas (centre), s'est embrasé avec l'arrivée de Robinho.
Cette systématisation tue-t-elle le charme ? Erden Kosova, de 'Vamos Bien', groupe ultra de Fenerbahçe, juge le rituel "obsolète", notamment depuis "l'arrivée de joueurs surtout venus profiter d'une pré-retraite".
Reste que les joueurs portés aux nues dès la descente d'avion restent marqués à jamais. "C'est juste "Made in Turkey", dit Nouma. "Tout sportif devrait vivre cela une fois dans sa vie".