Steaua, Dinamo, mais aussi les plus obscurs Gloria Buzau ou Târgu Mures : "les stades étaient pleins, les gens venaient pour oublier les difficultés et les malheurs", se rappelle Ion Pîrcalab, ailier du Dinamo dans les années 1960.
Le foot ? "C'était le seul moyen de distraction mais aussi de défoulement" dans un régime où les moindres gestes du quotidien étaient sous contrôle, souligne Ovidiu Ioanitoaia, du quotidien sportif Gazeta Sporturilor.
"Au stade, on pouvait proférer des injures sans avoir peur", raconte-t-il, alors que "faire la même chose hors du stade était très risqué".
Pour les meilleurs joueurs, le football était aussi la clé d'une liberté dont la quasi-totalité de leurs concitoyens étaient privés : celle de voyager.
Un privilège "inimaginable" que Helmuth Duckadam, portier légendaire du Steaua, avec qui il remporta la Coupe d'Europe des clubs Champions face au FC Barcelone à Séville en 1986, dit avoir savouré sans en perdre une seconde.
"Jouer pour le Steaua ou pour l'équipe nationale fut pour moi une grande opportunité de voir d'autres pays, d'autres conditions de vie. C'est difficile d'expliquer cela aujourd'hui, quand on peut circuler partout dans le monde", confie-t-il à l'AFP.
La possibilité de jouer des matches hors des frontières nationales, voire d'évoluer à l'année dans un championnat étranger, comme le fit Pîrcalab, quart-de-finaliste des JO-1964 et vice-champion de France 1972 avec Nîmes, supposait toutefois d'être passé au crible par la Securitate pour éviter tout risque de défection.
Les disparus de Séville
La fameuse finale de Séville, qui ne pouvait pas décemment se jouer sans un minimum de supporteurs, représenta à ce sujet un véritable casse-tête pour le régime : bien que triés sur le volet et strictement encadrés par la police politique, certains parvinrent à demander l'asile en Espagne.
Helmuth Duckadam le reconnaît : le fait d'être titulaire au Steaua, le club favori de Valentin Ceausescu, le fils du dictateur, n'était pas un handicap social, du moins tant que les performances étaient au rendez-vous.
"Valentin Ceausescu a été un ami du Steaua", admet-il. Tout en relevant : "je ne crois pas que Valentin Ceausescu aurait pu nous aider quand on jouait contre Anderlecht ou contre le Barça".
De façon générale, jouer dans un des deux grands clubs de Bucarest, c'était la garantie d'obtenir un permis de séjour dans la capitale, alors une faveur en soi quand on n'en était pas originaire.
Les meilleurs joueurs bénéficiaient en outre d'un logement confortable - autre privilège - et d'un salaire bonifié.
"Il ne s'agissait pas de montants trop importants, on ne faisait pas fortune mais on vivait mieux que la moyenne", souligne Ion Pîrcalab, qui se souvient avoir touché jusqu'à "trois fois" le salaire roumain moyen.
"On était des vedettes, mais si on compare à la situation d'aujourd'hui, on était des vedettes sans argent", confirme Duckadam en riant.
Reste la gloire, qui n'a pas de prix. "Quand je n'existerai plus, mes petits-enfants pourront encore être fiers du nom de Duckadam, du fait que j'ai réussi quelque chose dans ma vie", souligne celui qui arrêta quatre tirs au but consécutifs lors de la finale de 1986. Sans intervention de la Securitate.